Treize façons de voir de Column McCann

J’aime les nouvelles, un genre malheureusement peu prisé en France par les éditeurs mais que pratiquent avec talent et reconnaissance les américains. La rivière de l’exil m’a permis de découvrir cet écrivain talentueux connu pour ses romans. Aussi ai-je commencé ce recueil Treize façons de voir avec curiosité.

La violence est le fil conducteur dans ce livre qui propose un court roman et quatre nouvelles publiées après que l’auteur ait été agressé dans les rues de New York.

Treize façons de voir raconte la dernière journée d’un vieil homme comme un puzzle dont les morceaux, passé, futur, présent s’assemblent pour nous fournir le tableau final d’une erreur monumentale. On est avec ce vieil homme et ses pensées, avec son fils si peu attentif, avec les policiers après son assassinat et avec les différents personnages qui gravitent autour de lui. Une structure de récit vraiment intéressante.

Parmi les autres nouvelles

Traité. Beverly, une religieuse, a été enlevée et séquestrée en Colombie avant d’être libérée. Difficulté de vivre après surtout quand un jour elle reconnait dans un diplomate à la télévision son violeur et tortionnaire. Il faut qu’elle le retrouve, qu’elle le confronte….

Sh’Khol, (Endeuillés) C’est le nom d’un ouvrage qu’elle traduit  sur l’histoire d’un couple qui a perdu ses deux enfants. Et justement son fils part nager si loin qu’il qu’il disparait. La tension insoutenable, le père qui survient et devant lequel elle doit se justifier, la traque des policiers et l’attente entrecoupée de souvenirs, l’attente…

Un livre dans lequel les émotions affleurent dans chaque page.

« Il n’est plus qu’à un pas, et cela n’est pas Tony, non, non, pas assez rond, trop petit, il marmonne quelque chose en espagnol à propos de mon père, ou du sien, ou celui de quelqu’un, mais qu’est-ce qui lui prend, à ce type, à l’aide, oui, au secours, qu’est-ce qu’il raconte, la neige dégringole autour de nous, un cyclorama,impossible d’entendre ce qu’il crie, il postillonne, sa tempête à lui, un feu roulant, combien de mots ont-ils pour ça, il se penche vers moi, mon chapeau ne tient plus, mais que dites-vous, monsieur, je ne distingue rien dans ces hurlements, calmez-vous une seconde, ce n’est vraiment pas Tony, qui êtes-vous, d’où sortez-vous, où vous ai-je vu, les restes vont tomber, c’est le nom de mon fils que vous criez, ce traître d’Elliot, vous n’avez plus votre tablier, et dans la rue entière ce voile de blancheur, même la neige ne sait plus se tenir et… »

« Les trous de mémoire s’accumulent depuis peu. Phrases déformées, clés égarées, noms oubliés. Des averses de mots, puis la sécheresse. Pas plus tard que la semaine dernière, elle s’est perdue en se promenant sur la plage, le long de la baie, s’est trompée de chemin en remontant dans les dunes. Le vent fouettait l’herbe sous ses pieds. À cinq kilomètres de la maison, il a fallu qu’elle demande à quelqu’un de lui appeler un taxi. Et elle ne se rappelait pas l’adresse exacte.

Des confusions sans cesse, de sorte que les certitudes absolues – le jour de la semaine, lacer ses chaussures, la cadence d’une prière – sont remises en question. Pourtant le visage de cet homme, même une demi-seconde, lui a glacé les os. Un seul gros plan, très bref. Cette façon de se présenter à l’écran, parmi d’autres officiels. Quoi d’autre, exactement ? Un aplomb remarquable, conquis avec l’âge ? Le droit de s’exprimer devant un micro ? En tout cas, une apparition soudaine et scandaleuse. Ce gros plan, oui, trop bref.
Son tortionnaire. Qui l’insultait. Son violeur. »

Éditions Belfond en format poche 10/18 – 258 Pages

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