Si tu t’en vas… Extrait

« L’enveloppe était posée sur la table de la cuisine. Large, élégante, au papier épais granulé de couleur crème, on ne pouvait l’ignorer. Elle ne contenait ni facture ni relance. Juliette s’assit devant et touilla le café à l’odeur de réchauffé. Malgré les persiennes closes, la chaleur était écrasante et le ventilateur ne fonctionnait plus. Elle saisit la lettre et la tint dans ses doigts crispés sans l’ouvrir. Au dos, aucune adresse, mais Juliette n’en avait pas besoin pour savoir qui la lui envoyait. Elle n’était pas près d’oublier cette écriture.

Elle déplia un grand mouchoir à carreaux pour s’éponger le front. D’habitude, Jacques réparait le ventilateur ; mais aujourd’hui, c’était son jour, alors elle ne lui demanderait rien. Elle adorait ce front large et intelligent, celui de sa famille, et cette fossette au milieu du menton, si charmeuse. « Tatie, donne-moi trois francs, s’il te plaît, merci ma tantine, la meilleure des tantines ». Qui résistait à sa moue ? Elle s’appuya sur la table recouverte d’une toile cirée au fond gris semé de grosses marguerites. La pièce nécessitait un coup de neuf. La peinture s’écaillait au plafond, de l’eau suintait des tuyaux marquant le mur de traces de rouille et les meubles beigeasses se refermaient uniquement quand on claquait portes et tiroirs avec vigueur. Tous les matins à l’aube elle lavait les sols. Pourtant l’appartement paraissait négligé. Peut-être l’année prochaine. »

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