Le ghetto intérieur de Santiago Amigorena

« Tu as entendu parler du grand mur que les Allemands ont construit. Heureusement la rue Sienna est restée à l’intérieur ce qui est une chance car sinon on aurait été obligés de déménager. » C’est ce qu’écrit sa mère restée à Varsovie à Vincente parti en Argentine faire sa vie. Elle mourra à Treblinka.

Les livres sur la seconde guerre mondiale font souvent monter l’horreur, l’absurdité, une profonde tristesse, la révolte face à des événements au-delà de toute compréhension. Le ghetto intérieur nous entraine ailleurs : dans le silence, seule arme de Vincente, le grand-père de l’auteur face à son impuissance. Il est en Argentine, marié, heureux. Sa famille est restée à Varsovie. Eux bientôt enfermés dans le ghetto érigé par les nazis, lui muré dans son ghetto intérieur, le silence, pour oublier, ne pas savoir. Comment vivre une vie sans souci quand les siens vont être exterminés ? Il est dans une impuissance abyssale. Sa mère et lui s’écrivent, rarement et l’escalade dans l’horreur se dévoile. Au fil du récit l’auteur nous rappelle avec précision les exactions orchestrées par les nazis. La force de Sebastien Amorigono est de nous emmener avec Vincente dans cet enfermement progressif, avec émotion et pudeur. Ce silence pèse sur toute la famille et sur sa vie, en même temps que les juifs se voient exterminés. Auparavant, juif, polonais, argentin, tout se confondait pour lui. Mais aujourd’hui, les autres lui renvoient son identité. Se pose alors une question qui, jusque-là, ne concernait pas Vincente : être juif, que cela signifie-t-il ?

En peu de pages, l’auteur aborde l’exil, l’identité, la culpabilité et l’impuissance. Le silence de Vicente, un silence profond, noir devient la seule défense contre la destruction des siens, quitte à détruire sa vie actuelle et à plomber les générations à venir. Un livre magnifique de simplicité et d’émotion.

P.O.L. – 192 p.

« A partir de ce triste mois de mars 1941, Vicente allait éprouver une double haine de lui-même : il allait se détester parce qu’il s’était senti polonais et il allait se détester davantage encore parce qu’il avait voulu être allemand. Il allait éprouver une double haine de lui-même que jamais le fait de se sentir juif n’allait soulager. « Pourquoi jusqu’aujourd’hui j’ai été enfant, adulte, polonais, soldat, officier, étudiant, marié, père, argentin, vendeur de meubles, mais jamais juif ? Pourquoi je n’ai jamais été juif comme je le suis aujourd’hui – aujourd’hui où je ne suis plus que ça. » Comme tous les Juifs, Vicente avait pensé qu’il était beaucoup de choses jusqu’à ce que les nazis lui démontrent que ce qui le définissait était une seule chose : être juif. »

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