Extrait 4

« Tous le dévisagèrent. Il lut dans les regards des femmes de la curiosité, dans ceux des hommes de l’hostilité. Une fille plus ou moins de son âge le toisa avec mépris et la petite garce se garda de relever le nez. S’il avait cru être accueilli avec chaleur, c’était raté ! Sa grand-mère leva à peine le bras qu’un ballet de valets s’orchestra. Les assiettes, les couverts, les verres à profusion l’étourdissaient. Lesquels choisir ? À la maison, on utilisait volontiers les mains, on s’épanchait dans de joyeux échanges. Ici, on n’entendait que le slurp des liquides descendant dans les gorges. Un vrai supplice. Ses couteaux claquaient sur l’assiette, résonnant dans le silence, son verre gouttait sur la nappe blanche à chaque fois qu’il le reposait, les cuillères se mélangeaient, les graines de semoule tombaient entre les dents de la fourchette avant d’arriver à sa bouche. Quand le morceau de viande sauta de son couteau pour atterrir juste à côté de l’assiette de sa grand-mère, tous retinrent leur souffle, un diable aurait pu traverser la salle en vociférant, ils ne l’auraient pas remarqué, concentrés sur la réaction de Madame Émilienne. Elle continua de dîner, coupant sa viande avec délicatesse, la nappant de sauce et la portant à sa bouche sans qu’aucune goutte ne s’en évade. Jacques l’observait, terrorisé. Sur un geste du majordome, un domestique se précipita et récupéra discrètement le morceau rebelle. Tous se remirent en mouvement. »

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